T’kout : Le réservoir d’eau, symbole de la barbarie française

L’épisode du réservoir antique de stockage d’eau, à T’kout (Batna), et l’usage qu’en avaient fait les forces françaises, le 29 décembre 1961, apportent une nouvelle preuve de l’arbitraire du colonisateur dans son empressement à faire souffrir des Algériens sans armes.
La péripétie d »‘El Majen », nom donné, dans la région de T’kout à ce type de réservoirs à ciel ouvert, est toujours dans les mémoires de ceux qui l’ont vécue, il y a 63 ans.
L’événement est toujours raconté, dans ses moindres détails par les habitants de la région, qui sont encore de ce monde. Le 29 décembre 1961 était une journée particulièrement froide, dans une région des Aurès connue pour ses hivers rigoureux, au cours de laquelle les deux délégations en négociations à Evian allaient conclure, près de trois mois après, un accord sur le cessez-le-feu, alors que la machine de la torture coloniale continuait à broyer les Algériens.
La soldatesque française, ne parvenant pas à identifier des combattants de l’Armée de Libération nationale (ALN) dont elle a eu vent de la présence, quelques jours auparavant dans le vieux T’kout pour assister à un mariage, a eu l’idée « lumineuse » de rassembler tous les hommes de l’ancienne dechra (une cinquantaine) et de les immerger dans l’eau presque gelée du réservoir pour les contraindre à donner des informations sur les membres de l’ALN qui avaient, entretemps, rejoint leurs postes sur le front de la Guerre de libération nationale.
Abderrahmane Mezhoudi, une des victimes de ce « fait d’armes » colonial, n’avait que 18 ans, le 29 décembre 1961. Il se souvient que c’était un vendredi et qu’il faisait atrocement froid. « J’ai d’abord été battu par des soldats qui m’accusaient d’avoir servi à manger aux djounoud, avant d’être jeté sans ménagement dans le bassin du réservoir dont l’eau était insupportablement froide », raconte Abderrahmane, aujourd’hui octogénaire.
Pour sa part, Abdelkrim Rahmani, un enfant de T’kout passionné d’histoire, particulièrement de celle de sa région, a recueilli, au fil des années, de nombreux témoignages auprès de ceux qui ont vécu « l’affaire d’El Majen de T’kout ». Selon Rahmani , les soldats français ont fait irruption dans le vieux T’kout vers 7 heures du matin après avoir obtenu des informations indiquant la présence de Moudjahidine dans la région. N’ayant mis la main sur aucun djoundi, les forces françaises ont décidé de punir les villageois, accusés, à la fois, d’avoir collaboré avec les combattants algériens, et de s’être abstenus de coopérer avec l’administration coloniale en dénonçant les Moudjahidine, souligne M. Rahmani qui poursuit en indiquant que tous les hommes avaient été brutalement sortis de chez eux tandis que les femmes ont été regroupées, toutes, sur la place habituellement réservée à l’entreposage du foin, appelée localement « Inourar ». Il a également pu, tout au long de ses recherches, identifier quelques-uns parmi les hommes plongés dans l’eau glacée d »‘El Majen » de T’kout, et en cite plusieurs: Abderrahmane Mezhoudi, Belkacem Zeroual, Omar Benmechiche, Amar Boukhlouf, Messaoud Messaoudi, Hocine Zeghdoud, Amar Titaouine…

Dhaouia Cherif défie l’armée française et ouvre la vanne de vidange du réservoir
La militante Dhaouia Cherif, épouse d’Abdeslam, avait pris son courage à deux mains et fait fi de la surveillance des soldats français en se précipitant vers le réservoir pour en ouvrir la vanne de vidange afin de soulager quelque peu les suppliciés avant que les « garde-chiourmes » ne s’aperçoivent de la baisse du niveau de l’eau dans le bassin et ne remettent la vanne à sa place. Dhaouia fut imitée, peu de temps après, par Seghir Guerbaï, enfant à l’époque, fils du Chahid Mohamed Benbachir, qui avait ôté une nouvelle fois la vanne pour la jeter, cette fois-ci, aussi loin qu’il put.
Aujourd’hui âgé de plus de 70 ans, Seghir confie avoir d’abord « observé Dhaouia lorsqu’elle avait enlevé le bouchon du réservoir et vu les soldats le remettre en place peu de temps après ». « J’ai couru de toutes mes forces et lancé la vanne au loin, sur des terres agricoles afin que les soldats ennemis ne la remettent en place, mais ils se sont débrouillés pour reboucher le Majen ».
Les témoignages recueillis auprès des habitants de la zone indiquent que ce n’est qu’à 13 heures passées que la cinquantaine d’hommes immergés jusqu’au cou dans le réservoir ont pu sortir, après l’arrivée d’un officier militaire d’Arris à bord d’un hélicoptère militaire. Selon un témoin, « ceux qui avaient des papiers d’identité ont été relâchés, après vérification, tandis que les autres ont été transférés au centre de T’kout pour n’être relâchés qu’au coucher du soleil après avoir été interrogés et molestés ».
Cet épisode peu connu de la résistance des Algériens face aux forces coloniales n’a jamais été oublié par les habitants de T’kout qui ont érigé une stèle commémorative à l’entrée de la dechra. S’agissant des combattants de l’ALN recherchés par les soldats français et qui furent, à leur corps défendant, à l’origine de l’épisode « d’El Majen de T’kout », ils n’ont jamais été retrouvés, malgré l’utilisation d’une meute de chiens policiers. Le réservoir en question, ou « El Majen », est encore là et peut être découvert par des visiteurs de passage. Remontant à l’époque romaine, il est toujours utilisé pour l’irrigation agricole dans le voisinage de l’ancienne dechra de T’kout.
Des efforts sont actuellement déployés par les autorités communales et le mouvement associatif pour inclure le vieux T’kout parmi les attractions touristiques de la région des Aurès, en raison de son charme, de la majesté de la nature et du charme irrésistible des constructions anciennes dont on dit qu’elles remontent, pour certaines, à l’époque numide comme en attestent les inscriptions libyques récemment mises au jour dans la région.

L.C.

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