L’Algérie célèbre aujourd’hui le 63e anniversaire des manifestations du 17 octobre 1961 à Paris, réprimées dans le sang. Les événements allaient pourtant donner une dimension internationale indiscutable à la cause indépendantiste algérienne.
Responsable parmi d’autres de la Fédération de France du FLN durant la guerre de libération nationale, Ahmed Askri a participé activement des manifestations.
Il a consacré un livre de 280 pages à ces manifestations, dans le quel il raconte comment étaient préparées les manifestations et dans quelles conditions. Sous le titre « La Révolution dans l’émigration – La tragédie du 17 octobre 1961 : histoire et mémoire », Ahmed Askri nous plonge dans cette séquence qui a constitué un tournant décisif pour la cause nationale.
« Je n’en ai pas été seulement un témoin, j’en ai été un membre actif, autrement dit l’un des acteurs de ces événements, ou plutôt des massacres (…). Préparée en secret, cette journée se voulait juste une dénonciation du couvre-feu qui ne s’appliquait qu’aux Maghrébins. Ce fut une injustice révoltante, il nous fallait agir pour la dénoncer.
Ce qui était supposé être pacifique s’est, hélas, terminé par une répression meurtrière », a-t-il écrit dans l’introduction du livre. Il raconte que des dizaines de milliers d’Algériens étaient venus de tous les quartiers de Paris et de la banlieue pour manifester malgré le déploiement impressionnant de tout l’appareil policier parisien.
« Quelques jours avant la sinistre journée du 17 octobre, notre responsable nous avait réunis pour une séance de travail dont l’ordre du jour était de trouver une riposte appropriée à la situation d’oppression que nous vivions depuis quelques mois. Une fois que l’idée de la manifestation a été retenue, nous disposions de quarante-huit heures pour préparer une marche pour le 17 octobre 1961. C’était très serré comme délai mais, nous étions très motivés, disciplinés et surtout d’une volonté
inébranlable. Afin de donner à cet événement toutes ses chances de réussite, notre responsable de Wilaya nous a convoqués la veille, le 16 octobre en urgence, pour une réunion de travail. Nous étions sept membres. Le responsable, mon homologue Al Ghorba et ses adjoints, moi-même, avec mes deux compagnons, chefs de zone.
L’objectif assigné à cette rencontre d’urgence était de préparer dans les détails le déroulement de la manifestation », raconte l’auteur. Il fallait ensuite transmettre les décisions prises à tous les paliers hiérarchiques du mouvement en passant par les responsables de zone et des régions. Les ordres devaient être clairs, bien compris et exécutés sans la moindre faille par les responsables et les militants à tous les niveaux. A cause du couvre-feu, les responsables s’arrangent de se réunir dans la journée.
Les organisateurs ont reçu des ordres stricts accompagnés de directives précises: la marche devait être pacifique. Interdiction absolue de porter des armes blanches ou autres, il ne devrait y avoir ni femmes ni enfants dans les rangs des manifestants. Les participants devaient se préparer à tout: bousculades, brutalités, coups de bâtons, arrestations éventuelles.
Les femmes et les enfants étaient, en revanche, autorisés à sortir le lendemain et les jours suivant la manifestation pour réclamer la libération de ceux qui allaient être arrêtés. Il était conseillé de faire participer des hommes physiquement solides et résistants. L’ordre de ne pas afficher de slogans anti-français a été également donné.
L’itinéraire à suivre était laissé à l’initiative de chaque responsable.
Ahmed Askri avait choisi de partir de la République jusqu’à l’Opéra, en traversant les grands Boulevards.
En dépit de son caractère, la manifestation a été interdite par la préfecture de police. Mais, comme convenu, à l’heure dite, les militants étaient au rendez-vous. En l’espace de quelques minutes, la Place de la République était noire de monde. Dès qu’ils sont sortis du travail, tous les Algériens se sont rués sur les métros, les bus… D’autres se sont déplacés à pied et se sont retrouvés à l’endroit indiqué. Ils ont attendu sur la place de la République jusqu’à l’arrivée de tous les participants prévus malgré l’heure tardive, car la nuit commençait à tomber. D’après les différents bilans effectués après le drame, des dizaines de milliers d’Algériens, plus de 80 000, se sont retrouvés ce jour-là sur les grands boulevards de la capitale française. Une fois que tout le monde était là, le responsable donna le signal du départ. La foule avançait dans un ordre et une discipline impeccable, sans ambages, sans incidents, et sans rencontrer d’obstacles. Tout allait bien jusqu’à la station de métro Bonne Nouvelle, face au cinéma Le Rex.
Là, la situation dégénère et la marche tourne au drame que décrit l’auteur dans son livre.
La répressíon est sanglante. Un policier en faction, dans un coin de rue, sans doute surpris et apeuré par la foule imposante, pris de panique, ouvre le feu mais sans cibler les manifestants. L’alerte était donnée et d’autres policiers qui avaient entendu la détonation, sont arrivés en renfort. Ils se mirent à tirer dans le tas sur les manifestants qui tombaient comme des mouches sur le pavés vite inondé de sang.
La panique s’installe et les fourgons de police arrivent de partout avec des renforts. Les ambulances aussi. Les rues de Paris étaient jonchées de cadavres d’algériens, réclamant l’indépendance.
La police profite du désordre et arrête les rescapés de la boucherie qui seront soumis à des actes
de tortures et des sévices les plus atroces.
Entre 12 000 et 15 000 arrestations ont été opérées. 300 à 400 manifestants ont été tués par balles et par noyade dans la Seine. 2 400 blessés ont été dénombrés durant le drame ainsi qu’un nombre
de disparus se situant autour de 400 personnes.
Certains ont été renvoyés en Algérie laissant femmes et enfants désemparés en France n
Farid B.