KAMEL MESSAOUDI : Une étoile que la mort ne peut pas éteindre

Par Annaris Arezki

Dans la vie, à chaque jour ses spécificités. Mais la majorité des spécificités partent avec leurs jours en tombant, généralement, dans l’oubli. Comme il y a des dates et leurs événements qui persistent et restent toujours gravés dans la mémoire. Nombreuses, Il n’est pas utile d’énumérer toutes les circonstances qui résistent au temps. Certaines sont propres à chacun, d’autres sont communes à une collectivité, plus ou moins importante, selon la valeur de l’événement. « L’humanité ayant besoin d’artistes, autant que le ciel a besoin d’étoiles », pour paraphraser le grand penseur Ait-Menguelat, il n’est insensible à la perte d’un artiste que celui qui ne distingue pas entre la lumière et l’obscurité.
Le sujet étant celui des étoiles, aujourd’hui on parlera de celle qui a illuminé le ciel du néo-chaabi, Kamel Messaoudi. Il y a déjà vingt cinq ans que cet artiste d’exception nous a quitté sans nous dire Adieu (wada3). Rien ne présageait sa mort à cette date là. Il était jeune, 37 ans d’âge, en bonne santé et quelques temps avant son décès, il était, en directe avec ses amis, sur le plateau de l’ENTV. Alors qu’il chantait
« Ya Hasra a3lik ya Danya », lors de cette émission, la mort préparait la fin de ses reproches à la vie En ce dixième jour du mois de décembre 1998, au moment où son frère, Hamid, l’attendait à la maison, il a reçu la surprise la plus douloureuse de sa vie. Sa voiture qui devait le conduire chez lui, a désobéi à Kamel. Et, elle l’a séparé de la vie, qu’il a tant chantée, en dérapant. Un dérapage dont les conséquences malheureuses, telles les ondes sismiques, vont, en s’étalant, au fur et à mesure que l’information avance, pour toucher toutes les âmes, oh qu’elles sont nombreuses !, sensibles à son art. Une étoile, oh combien étincelante !, vient de quitter le ciel du chant chaabi, en particulier, et
de l’art en général.
Relater toutes ses chansons, nombreuses et toutes sensées qu’elles sont, nécessiterait un livre consistant. Mais , on ne peut pas parler de lui , sans penser à la cham3a ( à la bougie) qui , à son instar, se consume pour éclairer les autres ; à « noudjoum ellil » ( étoiles de la nuit) , qui , comme lui, éclairaient notre ciel ; « matchi ghardhi » ( Ce n’est pas de mon gré) , où il louait la beauté de notre pays en se mettant à la place de ceux qui s’exilent ailleurs , il n’avait pas encore vu la « harga » actuelle ; à « Rayeh Marhoune» ( hypothéqué ) où il dénonçait les méfaits de la drogue qui , malheureusement , depuis son départ , est devenue presque normale , « Ya lDzair » ( oh Algérie) où il relatait l’injustice sociale … Comme il a repris une chanson en kabyle de Slimane Azem « Elwaqt aghedar » (la traitre époque). D’ailleurs, selon son ami, le chanteur kabyle, Hacene Ahras, à qui il a confié leur adaptation, il allait reprendre en kabyle certaines de ses chansons (cham3a, Hnina, El dzair, ana wanti ya guitara…), mais le destin a décidé autrement. Mais, « Ya Danya » (oh la vie) est celle qui a résumé son parcours, comme l’a si bien définie son ami, Mohamed Lamraoui, avec qui il a interprété « Ta3mel Ma bghat » (Qu’elle fasse ce qu’elle veut). En effet, en écoutant cette chanson, dont les paroles sont écrites par Yacine Ouabed, on arrive à voyager à travers les hauts et les bas (les bas, surtout) de cette vie.
Du roi, à qui le trône n’est jamais définitif ; de celui qui n’arrive pas à avoir d’enfants, malgré de nombreux de soins ; de celui qui en a (les enfants) mais son salaire n’arrive pas à subvenir à leurs besoins ; des parents qui, une fois âgés, sont jetés par leurs enfants dans les asiles de vieillards ; de la maman, laissée par son fils, pour qui elle s’est sacrifiée, parti pour vivre son bonheur avec
les européennes…
Ceux qui ont connu l’homme, sont unanimes à dire que l’art de Kamel reflète son être. Généreux, gentil, sage, timide, respectueux. « Il ne pouvait pas lever ses yeux devant son père, tellement il le respectait. » , disait son frère, Hamid. « Il aimait toucher le cœur et la raison par ses chansons », confirme Yacine Ouabed , l’auteur du texte « Ya danya ». Pour toucher le plus large public, il exigeait « Des paroles simples, mais très profondes de sens », selon le grand poète Kamel Cherchar. Son principal parolier et ami d’enfance, Kaddour Frah a bien résumé la nature de l’artiste, en disant : « Kamel ne chantait pas pour chanter. Il ne cherchait pas l’argent. Il voulait faire passer le message. Il aimait vider son cœur.
Il aimait partager ses rêves. Il aimait soigner ses souffrances par le verbe… »
En écoutant ses amis, son frère, ses paroliers, ses confrères, à l’image du chanteur chaabi, Nasser Eddine Galiz , son ami Hacene Ahras ( le chanteur kabyle qui a permis aux vœux ,de l’un et de l’autre , Kamel Messaoudi et Matoub de s’exaucer en organisant leur rencontre , lors du mariage de Matoub tout en animant sa fête en compagnie de Galiz, Lamraoui…) , on ressent le sens profond de la convivialité, de l’amitié, de la solidarité, en un mot de la vraie algérianité et de l’humanité.
Il est vraiment tentant de penser que si on avait donné toute l’importance à l’art, comme le verbe véhiculé par nos grands poètes du chaabi, on ne vivrait ni le terrorisme, ni la « harga », ni la hogra, ni la corruption, ni la pollution, ni la pauvreté … et l’amour du pays serait au dessus de tout. Peut-on rêver le retour de telles étoiles dans notre ciel artistique ? Ne perdons pas espoir!

A.A